Le renouveau du théâtre : Un éclatement des frontières artistiques et nationales pour une création au langage multiple

Publié le par Clémentine Davin

2006/2007                                                                                                     Clémentine DAVIN
UniversitéPaul Valéry                                                                       
Master 1 Métiers du patrimoine - CGDOAXX
Franck CLAUSTRAT, maître de conférence en art contemporain
Revue de presse n°2 : Un renouveau du théâtre 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le renouveau du théâtre : Un éclatement des frontières artistiques et nationales pour une création au langage multiple
 
 
 
 
« […Je] propose un théâtre de la cruauté. Avec cette manie de tout rabaisser qui nous appartient aujourd’hui à tous, cruauté, quand j’ai prononcé ce mot, a tout de suite voulu dire sang pour tout le monde. Mais théâtre de la cruauté  veut dire théâtre difficile et cruel d’abord pour moi-même. Et, sur le plan de la représentation, il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres en nous dépeçant mutuellement les corps, en sciant nos anatomies personnelles ou, tels des empereurs assyriens, en nous adressant par la poste des sacs d’oreilles humaines, de nez ou de narines bien découpés, mais de celle beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer contre nous. Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut encore nous tomber sur la tête. Et le théâtre est fait pour nous apprendre d’abord cela[1] », – Antonin ARTAUD –.
 
            Le théâtre, lieu de création permanent, a été un des espaces artistiques les plus transformés et remis en question depuis sa création ; toutefois, il a connu, dès le début du XX° siècle, de profondes mutations qui l’ont conduit à sans cesse se réinterpréter afin de toujours être au plus proche du public, de la société, du quotidien. Cette volonté de réveiller les consciences tout en faisant de l’espace théâtral un lieu de communication et participatif, "d’accrocher le/au réel" en invitant le spectateur à entrer dans une autre dimension, autre que celle qu’il vit tous les jours, est une des principales missions du théâtre contemporain. Le « théâtre de la cruauté », initié par ARTAUD, est bien toujours d’actualité bien que réactualisé sans cesse pour répondre aux attentes du monde actuel. Au cours de cette revue de presse, nous allons nous intéresser à l’évolution de la pratique du théâtre au sein même de son processus de création et représentation, à travers la mise en page et l’emploi stylistique des deux rédacteurs. Pour le premier article issu de la revue Art Press et intitulé « Franck CASTORF, le théâtre de l’avenir », nous allons porter notre attention sur la mise en scène des œuvres théâtrales de ce dramaturge et metteur en scène allemand – également directeur de la Volksbühne depuis 1992 – et la technique de création multiple et pluridisciplinaire de l’espace théâtral. Dans un second temps, nous traiterons le thème du renouveau dans le théâtre palestinien, à, partir de l’article « Renaître au théâtre » de la revue Mouvement, en s’attachant à en présenter ses divers acteurs actuels qui luttent pour une cause semblable et pérenne : désenclaver la population et la culture palestiniennes et israéliennes de leur contexte politique pour faire que l’art – par la pratique du théâtre – unissent les deux nations au passé riche et commun ; faire en sorte que la culture – par delà les frontières géographiques et culturelles – ne s’enlise pas dans les causes du conflit politique.
 
Déconstruction - « Franck CASTORF, le théâtre de l’avenir[2] »
 
L’article, bilingue, est composé de trois doubles pages, toutes rédigées par la même personne, Stéphane MALFETTES (avec traduction en anglais, de C. PENWARDEN). Découpé en trois paragraphes textuels thématiques – « De brutales embardées narratives », « La méthode Castorf », « L’activisme de la Volksbühne » – l’espace consacré à la présentation du travail du dramaturge, ainsi que sa collaboration avec le jeune plasticien berlinois, est partagé assez équitablement entre le texte et les photographies qui les accompagnent. L’article recense cinq photographies dont une pleine-page, cliché de mise en scène, deux demi-pages qui se font face présentant chacune un extrait d‘une pièce de CASTORF contextualisée dans un décor de MEESSE, un cliché du « Foyer de la Volksbühne conçu par Jonathan MEESE à la demande de Franck CASTORF », et enfin, une photographie qui achève l’article présentant les deux artistes.
Organisé de façon assez classique, l’article s’ouvre sur une introduction qui présente le dramaturge et son travail ainsi que son plus récent projet, Meistersinger, en quelques mots. Vient ensuite une présentation critique et précise[3] – tant dans l’explication du contexte et de l’histoire de l’œuvre de WAGNER que dans celle de sa réadaptation par les deux artistes contemporains – de la pièce, qui mêle musique, chant, déclamations et écritures-slogans, et du travail de collaboration avec MEESE. L’article, rédigé dans une écriture engageante mais toutefois assez critique, emmène le lecteur dans un dédale de pièces et de mise en scènes plus extravagantes et outrancières les unes que les autres, pour porter son attention toute particulière sur la dernière pièce intitulée Meistersinger qui immisce, à l’intérieur des grandes œuvres de WAGNER, « des fragments de Masse Mensch, texte dramatico-anarchiste écrit en 1921 par Ernst TOLLER. Le théâtre hyperréaliste et désinvolte de CASTORF est ici mis en écho avec la pratique artistique du jeune plasticien Jonathan MEESE – qui, depuis quelques années est sur le devant de la scène artistique berlinoise –. En effet, la démesure, autrefois wagnérienne, laisse la place à celle développée pour la scénographie, pensée et réalisée par MEESE : l’œuvre du « grand monument de l’art germanique[4] », Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, se voit réduite à son plus simple élément – « […] il s’agit pour CASTORF de "rendre le propos de Wagner supportable", au risque de rendre l’ouvrage lyrique méconnaissable » – tandis que « l’environnement scénographique multiplie les inscriptions typographiques jusqu’à la saturation cognitive. Qui ne maîtrise pas la langue de Goethe aura l’impression de rester sur la touche face à la profusion de signes, slogans et autres jeux de mots vaseux sortis de l’esprit de Meese[5] ». Le rédacteur use de nombreux adjectifs qualificatifs, mélioratifs ou péjoratifs, qui ponctuent son texte et "trahissent", dévoilent son opinion quant au spectacle qui lui a été donné à voir. Certaines phrases, quelque peu ironiques, offrent au lecteur un aperçu assez pittoresque de la pièce : « Trois chanteurs lyriques sans qualité sont mêlés à des comédiens qui prennent en charge les parties vocales comme ils peuvent », « La guilde des Maîtres chanteurs à des allures d’équipe de catcheurs sur le retour ».
Qu’en est-il de son avis sur le Travail de CASTORF en général ? Comment le présente-t-il et au moyen de quel(s) critère(s) d’appréciation ? Parsemé de références littéraires et cinématographiques, l’écrit vante, dans une seconde partie[6] les audaces scéniques de CASTORF, en rappelant ses nombreuses mise en scènes d’œuvres romanesques de DOSTOÏEVSKI et BOULGAKOV – dont il a adapté Le Maître et Marguerite, et qui, selon Stéphane MALFETTES, « est l’un de ses morceaux de bravoure » –. S’appuyant sur ses spectacles passés, l’auteur s’attache à décrire une énergie et un vouloir personnel artistique des plus "baroques" et incroyables qui soient, à l’image de sa carrière toute aussi tumultueuse : « Franck Castorf a passé ses années d’apprentissage à croisader contre les censures et les vexations infligées par les autorités est-allemandes.[…] Entre coup d’éclat et ratage fulgurant, virtuosité et foutage de gueule, discordance esthétique et copulation de la carpe et du lapin, Castorf architecture le désordre du monde [… et pose] les bases de ce qui deviendra sa marque de fabrique : la destruction scénique du panthéon littéraire mondial[7] ». Enfin, son article s’achève sur une brève présentation du parcours du directeur de la Volksbühne[8] et sur ce foyer de création qui fait figure d’exception, tant son dynamisme a été important dans le processus du renouveau de la pratique de la mise en scène contemporaine, abritant de grands dramaturges allemands tels que Erwin PISCATOR, Max REINHARDT ou encore Heiner MÜLLER. « Sur le front artistique, la Volksbühne est le lieu d’expression d’une coalition d’artistes qui, chacun à leur manière et quelle que soit leur génération, empoignent à bras le corps les aspects les plus concrets des transformations esthétiques, économiques et politiques de l’époque[9] ».
A l’image des personnalités insolites, impétueuses qui le conduisent et « émancipé du Gesamtkunstwerk (œuvre d’art total conceptualisée par Wagner), l’opéra bascule dans un espace conflictuel où des matériaux hétérogènes travaillent les uns contre les autres. […] Cet opéra sans lyrisme force les habitudes du regard et de l’écoute pour provoquer une résonnance wagnérienne en exacerbant également la veine ironique de l’œuvre originelle[10] ».
 
Palestine - « Renaître au théâtre[11] »
 
         L’article est composé de deux articles qui, à l’image du premier, ont été rédigés par une seule et même personne, ici, Jean-Louis PERRIER. La première double-page est dotée d’une photographie représentant des ruines de bâtiments composées de béton, gravats et barres de fer. L’introduction est située en haut de la page de gauche, tandis que le développement de l’article débute dès la page de droite pour ne s’achever qu’en quatrième page. Les deux pages suivantes sont de présentation sobre, sans image. La page de droite, toutefois, est divisée en deux en son centre : d’un côté est rédigé la fin de l’article présenté, de l’autre, un second petit article qui réunis des propos de Peter BROOK – directeur du Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris – recueillis par Jean-Louis PERRIER toujours.
La mise en page de cet article apparaît assez grave, posée, à l’image du propos qui y est développé. A contrario de l’article d’Art Press, celui-ci pose les jalons d’une position, idéologie artistique binationale défendue et revendiquée par des metteurs en scènes, dramaturges et comédiens Israéliens et Palestiniens. L’article débute sur cette phrase très forte : « Jérusalem, Ramallah, Haïfa. Trois pôles pour le théâtre palestinien. Trois tentatives d’exister pleinement, en se désenclavant, pour réunir ceux qu’Israël a tenté de séparer à chacune de ses extensions ». Le langage, utilisé par Jean-Louis PERRIER, est engagé et informatif sur la situation actuelle artistique dans cette région du monde. Tempéré, cet article n’est pas un texte de propagande, il se veut éclairant sur les combats menés par les artistes dans les pays en conflit pour la défense de l’art et de la culture des deux pays. Cette image de ruines, présente en ouverture du texte, révèle en quelque sorte la lutte des acteurs de la scène artistique actuelle qui, des décombres dont sont chargées les deux nations, veulent faire naître un nouveau langage où « le théâtre dessine une carte qui ne cherche plus à se calquer sur la carte politique. […En effet, selon l’auteur,] la bataille culturelle, plus complexe encore que l’autre, est autrement porteuse d’avenir[12] ».
L’auteur, pour appuyer sa thèse, s’est attaché, tout au long de son texte, à présenter divers acteurs du milieu théâtral palestinien qui travaillent ensemble autour de cette problématique du désenclavement de la culture et de l’art dans les frontières politiques établies arbitrairement par les pouvoirs en puissance, tels que Ofira HENING, Taher NAJIB, Khalifa NATOUR… Autant dans la présentation des personnages que dans la description et l’explication de leur Travail, le ton employé est objectif tout en étant didactique. Le rédacteur cherche à rendre réellement visible, aux yeux du lecteur, la situation présentée, les caractères et personnalités des artistes, leurs œuvres. Pour cela, il utilise beaucoup les techniques de typographie – italique et ponctuation –  afin de donner une meilleure lisibilité au texte et mêle des éléments artistiques et professionnels à des anecdotes, des descriptions de travaux, de nombreuses citations. Bref, le lecteur à toutes les clefs en main pour comprendre l’environnement dans lequel vivent et travaillent les acteurs artistiques et peut appréhender le texte sans aucune difficulté de compréhension, tant la situation est clairement explicitée.
La problématique des distances, frontières, tant territoriales que langagières, revient souvent tout au long du développement. « En scène, les acteurs, Palestiniens ou Israéliens, passent d’un côté à l’autre, du féminin au masculin. Ofira se situe dans ce passage, "entre les lignes", une intermédiaire entre les cultures et un peu plus, puisqu’elle est de celles qui les déplacent en les traversant[13] ». Les transpositions des pièces – traduction d’une langue à une autre en fonction du public – semblent courantes et ne pas poser de problème aux comédiens. « Notre arabe est ponctué d’hébreu, c’est un progrès. Culturellement, nous coexistons, mais politiquement, je suis palestinien et Israël est l’agresseur. Je suis pour le boycott financier mais pas culturel, parce que nous y perdrions[14] ». Le rédacteur donne énormément la parole aux acteurs de la vie artistique palestinienne, dans son article, ce qui conduit le lecteur à, sans le vouloir, prendre plus ou moins partis, bien que les propos soient nuancés et les deux nations sans cesse associées culturellement.
Le dernier article, intitulé « Palestiniens aux Bouffes[15] », est un texte qui retranscrit fidèlement les propos de Peter BROOK expliquant les raisons de son invitation à jouer la pièce au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. Là, le rédacteur n’intervient aucunement, seules les questions posées lors de l’interview – non rapportées sur le papier – laisse deviner sa participation au dialogue. Selon le fervent défenseur du "théâtre de la cruauté", « le théâtre doit être, d’une manière ou d’une autre, utile. On a besoin d’un théâtre proche de la vie. Pas question de fermer les yeux sur ce qui se passe autour de nous. […] Le théâtre n’est pas naturaliste [… il] peut vous donner à la fois l’horreur absolue, la guerre, l’extermination de la race et le sens de la vie indestructible dans la survie. Il ouvre à une autre dimension[16] ». Cette phrase résume tout à fait le rôle du théâtre contemporain et établit, en quelque sorte, son inscription dans la vie quotidienne, sa relation concrète et directe au monde qui l’entoure.
 
« Dans le domaine du théâtre, depuis la fin de l’illusion lyrique des années 1960, le jeune théâtre cherche difficilement un point d’équilibre entre l’histoire et le quotidien, l’individuel et le collectif, le privé et le public[17] ». Les nouveaux acteurs et scénographes cherchent toujours à questionner, rendre compte du réel tout en cherchant à stimuler l’imaginaire du spectateur au moyen de décors, mises en scènes particulièrement percutantes ou, au contraire, complètement fantasmagoriques, car tous cherchent une réponse à l’éternelle question de BRECHT : le théâtre peut-il représenter le monde ? S’il ne peut tout à fait le représenter, il s’en inspire pourtant largement : le théâtre contemporain s’inscrit dans le monde réel, la société. Tel un comédien, le théâtre joue plusieurs rôles dont ceux de témoin, de dénonciateur, de révélateur, d’outil cathartique et, par-dessus tout, outil de dialogue et de communication avec ceux qui viennent y assister.


[1] Définition extraite de l’Encyclopédie Universalis à l’article Antonin ARTAUD.
[2] Article extrait de la revue Art Press n°330, janvier 2007, p.30-35.
[3] Op.cit. Premier paragraphe de l’article et « De brutales embardées narratives », p.30.
[4] Idem. Expression employée par Stéphane MALFETTES pour qualifier WAGNER.
[5] Op. cit. p.30.
[6] Op. cit. « La méthode Castorf », p.30 et 32.
[7] Op. cit. p.32.
[8] Op. cit. « L’activisme de la Volksbühne », p.32 et 34.
[9] Op. cit. p.32.
[10] Op. cit. p.30.
[11] Article extrait de la revue Mouvement n°42, janvier – mars 2007, p.108-111.
[12] Op. cit. p.109.
[13] Op. cit. p.110.
[14] Op. cit. p.111.
[15] Idem.
[16] Idem.
[17] Définition extraite de l’Encyclopédie Universalis à l’article Nouveau Théâtre.

Publié dans Davin Clémentine

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article