Richard BAQUIE partie 02

Publié le par Anthony Dominguez

C/ De la philosophie, de la connaissance de la postmodernité, de la théorie artistique.
 
 
     Il convient ici de citer une lettre[1] que l’artiste a écrit à sa famille : « L’Art contemporain n’est pas très populaire. Il s’adresse surtout à un public spécialisé et sa valeur en est tout à fait relative. (Il faut attendre l’histoire). Son intérêt ne réside pas dans l’esthétique mais par son contenu philosophique. Dans le monde actuel les technologies progressent rapidement. Les pensées évoluent également en parallèle et l’artiste qui en a conscience peut en être le médiateur. ».
     Il faut considérer cet écrit avec la plus grande attention, car il témoigne de l’engagement philosophique, et des réflexions pertinentes et très actuelles, de l’artiste. En effet, Richard BAQUIE affirme ici et tout d’abord que l’art contemporain (au sens de postmoderne) s’adresse à un public averti, à un public de connaisseur. Si l’artiste doit s’en faire le médiateur (ce qui prouve à quel point de nombreux artistes se font aussi critiques de nos jours), c’est à cause de son contenu. En effet, celui-ci est philosophique, il n’est pas esthétique, ce qui amène à considérer que ce n’est pas ue dynamique d’expression de la norme, de l’acquis, qui l’anime, mais bel et bien une dynamique prospective, une dynamique de recherche. Ce point est en effet crucial pour qui veut entrevoir un minimum de sens dans les productions si fragmentaires et éparses soient-elles, de notre temps (« Les technologies progressent rapidement », les techniques et les pensées vont donc avec). Le catalogue de la Rétrospective qui fut réalisée au capc de Bordeaux ainsi qu’au mac de Marseille est ainsi pourvu, après les photographies des œuvres exposées, de nombreux extraits de textes et discussions réalisés par l’artiste. Au sujet de l’art contemporain[2], il dit par exemple : « L’art contemporain dans la logique de l’histoire de l’art est à prendre comme un lieu expérimental (…) on ne demande pas à un physicien ou à un mathématicien[3] d’être compris (…). On peut comparer l’artiste à un chercheur (…). L’artiste évolue dans son époque et par rapport à cette époque(…). L’art est dans le même processus [que l’accélération des technologies depuis 30 ans alors]. En fait, il ne peut plus avoir d’approche pédagogique s’il y a rupture ». Il faut ici voir que la pensée de Richard BAQUIE est complexe, à maturité, l’immédiateté précédemment citée est le fruit d’une pensée théorique et philosophique complexe, ce que précise avec brio Gérard TRAQUANDI lorsqu’il avoue, que, face aux œuvres de l’artiste, « l’on se dit comment n’ai-je pas pensé à faire ça, moi ? [4]».
     Toute l’importance du langage, des enjeux sémiotique puis psychologiques, ne sont, de même, pas le fruit de mon interprétation, au sujet des avions, l’artiste explique que lorsque l’on regarde l’une de ces machines, l’on se projette immédiatement des images mentales, des représentations, des souvenirs, ces impressions qui nous accompagnent et qui habitent notre regard. De même, sa connaissance de l’histoire de l’art récente est très étoffée. Il a, par exemple, décidé de s’intéresser au travail du copiste en reproduisant Etant donné : 1- la chute d’eau,2 – le gaz d’éclairage [5] de Marcel DUCHAMP, et en nommant son œuvre : Réplique, sans titre n°1 : Etant donné : 1- la chute d’eau,2 – le gaz d’éclairage[6].(Illustration n°4) Ici, contrairement à l’œuvre du père de la postmodernité, l’artiste a ouvert la mystérieuse cage de la première installation de l’histoire de l’art. En effet, le regardeur peut tourner autour et ainsi comprendre le système élaboré. Il avait eu la chance d’avoir dans ses mains les archives de la réalisation originale. Jean-Louis DELBES dit à ce sujet que c’est un des « rares artistes à avoir mangé ses pairs. Il a mangé DUCHAMP avec la copie de Etant donné, il est allé voir chez RAUSCHENBERG et a tué ses propres modèles, de même que chez TINGUELY [7]». Encore une fois, Richard BAQUIE, loin d’agir avec légèreté, a su déconstruire l’histoire, pas seulement celle de la sculpture, il a déconstruit l’Histoire de l’art, l’Histoire commune, les histoires de chacun, et finalement la propre histoire de son œuvre, qui résonne par fragments.
     « L’éclat de simplicité » est finalement le fruit d’un travail savant, mesuré, difficile d’accès car basé sur bon nombre de pensées, de théories complexes, mais aussi d’intime. La dernière œuvre qu’il voulut réaliser avant de s’éteindre, laquelle n’a jamais vu le jour, allait sans doute ajouter encore puissance émotionnelle, puissance historique, et puissance philosophique à l’ensemble de son œuvre. Il avait ainsi confié les principes de son projet à Gérard TRAQUANDI. Il souhaitait installer dans son jardin une caméra. Cette dernière aurait eu pour fonction de filmer chaque jour une seconde du temps qui passe, et ce, durant une année (cela peut rappeler le principe de photographie utilisé dans Smoke[8] de Wayne WANG et Paul AUSTER, basé sur la nouvelle de Paul Auster, écrite pour le New York Times, nommée Le Conte de Noël d'Auggie Wren[9]). A la fin de cette année aurait émergé un ensemble de fragments disparates, une sorte de sculpture d’images dans le temps, l’étirant, le modelant, le malmenant, toujours dans cette idée de chaos duquel émergent des histoires, chaos étant lui-même le fruit d’une histoire. Encore une fois, l’élasticité du temps, de la perception, du souvenir intime ce serait affirmé.
     Le fait que cette œuvre n’ai jamais vu le jour n’est pas un mal en fin de compte, car, comme le dit Gérard TRAQUANDI, il n’est pas difficile de se l’imaginer. Toute personne ayant connaissance de ce projet se figure les hypothétiques secondes par une image issue de sa propre mémoire. Peut-être est-ce finalement la plus puissante métaphore de l’artiste sur le temps, l’intime et le voyage ; à ce moment où la pensée compose l’œuvre qui n’existe pas à l’état physique.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Conclusion.
 
 
     Ainsi, il a été démontré, tout au long de cette étude, l’importance de l’œuvre de Richard BAQUIE dans le champ artistique français, mais aussi international. En effet, si elle peut paraître tout d’abord simple d’accès, éclatante de par son immédiateté, elle n’en demeure pas moins extrêmement complexe et problématique sur le fond. C’est devenu une banalité que de dire que l’apanage de la postmodernité réside dans la redéfinition de la trilogie artiste/œuvre/regardeur. Ce dernier, depuis Marcel DUCHAMP, a en effet été mis au centre des préoccupations et des considérations chez bien des créateurs. Ici, plus que de partir de l’idée selon laquelle le regardeur donne, au travers de son regard, puissance à l’œuvre, Richard BAQUIE a directement interrogé ces mécanismes, s’est interrogé sur les articulations de la perceptions au travers de la mémoire, du voyage initiatique, de la mélancolie et donc du temps.
     Expliquer ce type de démarche à des amateurs pourrait paraître délicat et complexe, cependant, il est certain que cette œuvre pourrait à elle seule résumer toute une partie de la création de la fin du XX° siècle. A la fois cathartique et rétrospective, à la fois interrogative et prospective, elle soulève les questions de la perception, de l’élasticité du temps, et ce, de par un contenant facile d’accès, empli d’humour et de simplicité. Certes, de nos jours, une bonne partie des créateurs s’est éloigné de ces questions sur la mélancolie, l’amour, les voyages, la contemplation, trop souvent jugées inconséquentes, triviales et rétrogrades. Néanmoins, nous ne sommes pas là dans un système aseptisé de la célébration des « petites choses » (comme l’a fait Jean-Pierre JEUNET dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain[10]), les « machines désirantes » de Richard BAQUIE sont un conglomérat de matières à l’article de la mort, de matières en souffrance, auxquelles il donne une nouvelle vie teintée de légèreté. Dans un processus inverse à celui de l’Homme hybride, mutant, il ne modifie pas l’être humain mais insuffle la vie à la machines, aux matériaux pauvres, communs et ordinaires, avec la modestie qui manque à bon nombre des créateurs qui nous sont contemporains.
     Revenir sur son œuvre semble en ce sens essentiel. De nos jours, le principe de récupération, de juxtaposition et de superposition, qui a vu le jour des collages dadaïstes jusqu’aux « combines » de Robert RAUSCHENBERG, est largement pratiqué. Richard BAQUIE, revenons sur cette idée, a mangé ses pairs, a détruit le processus historique, plus ou moins linéaire et ordonné, pour qu’en émerge une sorte de chaos jubilatoire et emporté, pour qu’en émerge des fragments dignes, finalement, de l’enfance. Les établissements dédiés à l’art semblent aujourd’hui exhumer certaines de ses œuvres depuis leurs réserves (Carré d’Art de Nîmes, Abattoirs de Toulouse, mac Marseille), quand d’autres souhaiteraient donner un coup de projecteur sur ce corpus (Musée d’art contemporain de Sérignan). Quoi qu’il en soit, le temps semble donner raison à ceux qui l’avaient suivi et encouragé dès le départ, de Roger et Marie Christine PAILHAS à Gérard TRAQUANDI ou encore à Jean Louis DELBES. C’est la raison même qui doit pousser l’historien de l’art à exercer sa pratique, en effet, il ne faut pas hésiter à s’interroger perpétuellement sur des faits en apparence anodins, immédiats ou fragmentaires, afin de pouvoir reconsidérer certains phénomènes dans leur ensemble.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Bibliographie.
 
 
Ouvrages généraux :
 
-BARTHES Roland, L’empire des signes, Editions du Seuil, lieu inconnu, 2005 (première version en 1970), 164 pages.
 
-BELTING Hans, L’histoire de l’art est-elle finie ?, (troisième édition), Editions Jacqueline Chambon, coll. Rayon Art, Nîmes, 1989, 152 pages.
 
-BLISTENE Bernard, Une histoire de l’art du XX° siècle, Beaux arts magazine, nouvelle édition, Paris, 2002, 243 pages.
 
-Nicolas BOURRIAUD, Esthétique relationnelle, , Les Presses du réel, Documents sur l’art, 1998, 128 pages.
 
-DRAGUET Michel, Chronologie de l’Art du XX°siècle, Flammarion, collection Tout l’Art Encyclopédie, Paris, 1997.
 
-GUILBAUT Serge, Comment New York vola l’idée d’art moderne, Editions Jacqueline CHAMBON, collection Rayon Art, Nîmes, 1996, 245 pages.
 
-LEROI-GOURHAN André, Les religions de la préhistoire, PUF/Quadrige, Paris, 1964, 158 pages
 
-MICHAUD Yves, Critères esthétiques et jugement de goût, Editions Jacqueline CHAMBON, collection Rayon Art, Nîmes, 1999, 130 pages.
 
 
Ouvrages monographiques et catalogues :
 
-Catalogue Richard BAQUIE, 1952 – 1956, Rétrospective, catalogue produit par le capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, en collaboration avec le mac Galeries Contemporaines des musée de Marseille, France, 1997, 146 pages.
 
-Morphogène, Richard BAQUIE, Carré d’art, Musée d’art contemporain de Nîmes, Nîmes, 1986, 66 pages.
 
-Richard BAQUIE, cahiers de l’ARCA n°6, Marseille, 1985, page 22.
 
 
 
Sources vidéo et audio:
 
-AUSTER Paul et WANG Wayne, Smoke, 1995, 1h50min.
 
-CHIAPPE Achille, Etant donné, Richard BAQUIE, Artemis, Marseille, VHS/SECAM, juin 1998, 34 min.
 
-DESPROGES Pierre, Les Réquisitoires, Jean-Marie LE PEN, France Inter, le 28 novembre 1982, 9 min 21 sec.
 
-GONDRY Michel, La science des rêves, 2006, 1h 45min.
 
-Richard BAQUIE, réalisateur inconnu, ARTE, émission Metropolis, décembre 1998, environ 20 min.
 
Sources diverses :
 
-AUSTER Paul, Le Conte de Noël d'Auggie Wren, in The New York Times, 1990.
 
-Entretien avec Hélène AUDIFFREN, directrice du Musée de Sérignan, le 12 avril 2007.
 
-Entretiens nombreux avec Paul BAQUIE et Elodie BAQUIE, depuis 1997.
 
-Lettre de l’artiste à sa famille, le 27 juillet 1986.


[1] Lettre à la famille, Marseille, le 27 juillet 1986.
[2] Op.cit. pages 91 et 92.
[3] Des chercheurs donc.
[4] Op. cit.
[5] Marcel DUCHAMP, Etant donnés: 1. La chute d'eau, 2. Le gaz d'éclairage, 1946-1966, assemblage de matériaux divers, Musée d'art de Philadelphie.
[6] Richard BAQUIE, Réplique, sans titre n°1 : Etant donné : 1- la chute d’eau,2 – le gaz d’éclairage, 1991, assemblage de matériaux divers, 251 x 204 x 406 cm, Collection du Musée d’art contemporain de Lyon.
[7] Op. cit.
[8] Smoke, Wayne WANG et Paul AUSTER, 1995, 1h50min.
[9] Paul AUSTER, Le Conte de Noël d'Auggie Wren, in The New York Times, 1990.
[10] Jean-Pierre JEUNET, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, 2001, France, 2h09min.

Publié dans Dominguez Anthony

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