UN ART CONTEXTUEL

Publié le par Anaïs Ferrier

Année 2006                                                                                                                    Ferrier Anaïs
Université Paul Valéry                                                                                                   
Gestion, conservation et diffusion des œuvres du XXe SIECLE
Master 1
CGDOXX méthodologie
M. Franck Claustrat maître de conférence en histoire contemporaine
Dossier 3
Écrits théoriques
 
 
 
 
 
UN ART CONTEXTUEL
 
 
 
SOMMAIRE
 
Introduction………………………………………………………………………p. 3
  • Historique
  • Définition
 
1.     L’artiste ………………………………………………………………….p. 4
·        L’expérience comme règle artistique
·        Le corps comme outil
·        Actes de présence
 
2.     L’espace et le contexte ……………………………………………………p. 6
·        Le contexte
·        La ville
·        La nature
 
3.     L’œuvre …………………………………………………………………..p. 9
    • Œuvre ?
    • Œuvre mobile
    • Le processus
 
Conclusion ………………………………………………………………………p. 12
  • Les frontières de la création artistique
  • L’art contextuel prend part à la progression de l’art contemporain
 
Bibliographie ……………………………………………………………………p. 13
 
Annexe ………………………………………………………………………….p. 14
 
 
 
 
 
            Le temps où l’artiste cherchait à faire entrer son travail dans le temps de l’Histoire est révolu. Il ne veut plus être reconnu pour son talent ou sa maîtrise technique lui permettant de produire des œuvres d’art picturales dans le sens traditionnel du terme, et d’ailleurs il n’en fait plus ; du moins l’artiste contextuel… « La première qualité d’un art « contextuel », c’est son indéfectible relation à la réalité »[1]. Paul Ardenne a travaillé sur cette forme d’art un peu « touche à tout » dans son livre un art contextuel, à partir de différents thèmes : la création artistique en milieu urbain, en situation, d’intervention et de participation. Cette nouvelle forme d’art a bien sûr des antécédents : travaillant avec la réalité, cette tendance découle d’un point de vue séminal du réalisme, qui questionne la représentation du réel. Pour Paul Ardenne, l’art contextuel comprend « l’ensemble des formes d’expression artistique qui diffèrent de l’œuvre d’art au sens traditionnel : art d’intervention et art engagé de caractère activiste [], art investissant l’espace urbain ou le paysage [], esthétiques dites participatives ou actives dans le champ de l’économie, des médias ou du spectacle[2] ». On l’aura compris, le terme d’art contextuel est vaste. C’est pourquoi nous allons l’étudier à travers un art contextuel dans plusieurs de ces aspects, notamment sa création, ses visées, sa signification et sa définition de l’art.
Si l’on considère comme œuvre d’art une production achevée invoquant un état de sensibilité chez l’homme, l’art contextuel respecte-il alors les frontières assignées à la création artistique ?
 
 
 
Pour l’artiste contextuel, l’expérience de la réalité et de son corps priment. Ces deux notions font partie du processus et sont la base même de l’œuvre contextuelle.
 
 
L’expérience de la réalité est le fondement de l’art contextuel. Comme son nom l’indique, cette forme d’art existe par et pour son contexte, ce que l’artiste revendique. L’expérience concrète est LE passage obligé de tout artiste, qui marque sa présence dans la réalité collective. Selon Paul Ardenne, une des raisons d’être du contextuel provient d’un désir social d’intensifier cette présence. D’une part, les artistes ne sont pas en perte d’imagination pour ce thème qu’ils chérissent et n’hésitent pas à se confronter à cette réalité, à la provoquer ou à la déstabiliser. Faire l’essai, c’est provoquer afin fin de développer les sens, ce qui peut entraîner une meilleure compréhension du monde, ce que les artistes contextuels recherchent. Qui s’y frotte s’y pique. Et c’est en ce piquant que l’on comprend ce que c’est. Les actions de ces artistes peuvent être choquantes, amusantes, étranges, ce sera toujours dans le même but : la compréhension ; compréhension amenée par l’expérience. Ardenne explique que n’importe quelle position tenue dans un contexte précis devient un acquis, ce que l’expérience vient chambouler en obligeant à se confronter à un avenir qui n’a par définition jamais été affronté. Ces provocations à la réalité nous la montre sous un jour différent, que l’on n’aurait peut-être jamais connu sans cette dernière et dynamisent la création. Si l’on prend un des exemples du livre, Fred Forest écrivit un petit texte dans Le Monde juste au-dessus d’un rectangle laissé blanc par le journal : 150 cm2 de papier journal le 12 janvier 1972. Il s’adresse aux lecteurs et leur explique que ce rectangle blanc est pour eux et qu’ils pouvaient en faire ce qu’ils voulaient. La première phrase de ce texte est « Ceci est une expérience » car Forest ne sait pas ce qu’il va advenir de ces rectangles blancs ; il demande dans son texte aux lecteurs de lui renvoyer ces rectangles une fois pleins, mais c’est une expérience complètement aléatoire, sans savoir si son « œuvre » va être couronnée de succès ou une grosse défaite… D’ autre part, l’expérience peut ce faire d’une autre façon : celle du public. En effet, la confrontation avec le public est une expérience en elle-même qui fait partie de l’œuvre de l’artiste contextuel. Les performances, les happenings sont existants grâce au public : la confrontation est immédiate et non-renouvelable, tout aussi aléatoire (on ne sait pas ce que cela va susciter comme émotions dans le public). Lorsque Yves Klein propose pour la première fois ses Anthropométries, il ne sait pas ce que le public présent va en penser et il expérimente donc son travail dans un contexte particulier.
Le corps de l’artiste est son outil de base, son bien le plus précieux, tout d’abord grâce à sa tête, mais surtout pour son corps physique, dont il se sert comme outil. Pour être artiste contextuel, il faut, comme on l’a vu ci-dessus, faire l’expérience de la réalité : cette expérience se fait grâce au corps, qui y est confronté. L’artiste se met en scène, utilise son propre corps (et parfois celui du public) pour son œuvre. Il peut même devenir un outil de revendication, ce qui est très souvent le cas car les actions des artistes contextuels deviennent souvent de l’art politisé. Le corps est d’ailleurs rarement épargné dans ces œuvres, car les artistes aiment à tenter de montrer la futilité et l’emprisonnement de l’esprit dans cette enveloppe. Certains se serviront donc, comme Valie EXPORT, de leurs attributs pour dénoncer des pratiques dans Tapp- und Tastkino (« cinéma de palpation et de tâtonnement »), tout en faisant participer un public – ici plus masculin – à ces expériences (qui ont dû marquer les esprits). En effet, Valie EXPORT posa sur ses seins nus une boîte qui les recouvrait, ouverte par un petit rideau de théâtre ; elle présentait cette boîte aux passants, qui, en ouvrant le rideau et en tâtonnant, découvraient les seins nus de l’artiste. Cette revendication féministe dénonce selon Paul Ardenne ce que le corps féminin engendre « en termes de voyeurisme et de désir, du rapt d’image au fantasme de l’appropriation pure et simple. »[3]. Le corps de l’artiste est « la pièce » la plus importante pour faire passer ses revendications, elle confronte son corps à un contexte (la rue) un univers et va à l’encontre d’un public, expérimentant le toucher de son corps sans aucune protection, même vestimentaire ; pourtant, cette performance doit s’appuyer sur un autre élément pour fonctionner : le corps du public. En effet, si celui-ci n’avait pas participé en ouvrant le rideau, la portée de l’œuvre aurait été nulle et le message incompris. Le corps de l’artiste est donc primordial mais n’est rien sans l’intervention de celui du public, tout aussi indispensable à la création de l’œuvre.
 
            L’artiste contextuel se sert à la fois de ses travaux et de son corps – unique et original – comme actes de présence, marquant la création artistique dans un contexte étudié. Effectivement, ce corps offert au public est nominatif et individuel ; il est reconnaissable comme étant « une pièce » originale qui peut servir de signature pour son travail, ce que l’artiste n’hésite pas à faire. Selon Paul Ardenne, certains s’en contentent comme Ben qui, en 1972, s’immobilise dans plusieurs endroits avec une pancarte disant : Regardez-moi, cela suffit. La présence de l’artiste, pour reprendre ses mots, suffit ; suffit à faire savoir que la création artistique est présente, par le simple fait qu’un artiste le clame. D’autres préfèreront apposer un signe ou une signature qui leur est propre pour expérimenter un contexte et une réalité. On peut d’ailleurs remarquer l’émergence des graffs et tags, notamment à la fin des années 1960, à New York. Ces signes, distinctifs, sont à la fois œuvre et signature, permettant aux artistes de se faire connaître et d’être présent dans le milieu urbain en permanence. Dans un art contextuel, Ardenne explique que Frank Popper en a été le témoin direct et écrivit : « Ce phénomène [][deviendra] aux Etats-Unis un moyen de communication clandestine, puis un jeu créatif subtil, enfin une création collective indomptable, d’un fort impact social et esthétique.[4] » Les artistes investissent pour une durée indéterminée un espace urbain, comme une conquête de l’espace environnemental fait sur le vif – il ne faut pas oublier que c’est illégal – par leurs noms ou signe de reconnaissance Par ces tags, on voit l’importance de la présence de l’artiste qui veut signifier que c’est lui qui est là, qui existe et qui vit là ; le tagueur s’impose à la ville et à sa population. Paul Ardenne estime ces tags comme des « proclamations sociales. [] Si revendication il y a, elle se borne à vouloir faire constater, par le public, l’existence d’une identité »[5]. Ces actes de présence peuvent aussi se faire avec une appropriation de l’espace réel, légèrement différente de l’appropriation des murs de la ville ; Richard Long, artiste du Land Art, marqua sa présence dans la nature par la simple action de marcher, ce qui fit un chemin dans l’herbe sauvage. En effet, il fit des allers et venues sur une même ligne, juste pour marquer une présence humaine dans un lieu où elle était inexistante, œuvre intitulée A line made by walking . (fig.1)
 
 
            L’espace dans lequel nous évoluons constitue un contexte pour les artistes, espace réel pour lequel les artistes créent, que ce soit en pleine nature ou en milieu urbain.
 
 
            L’art contextuel, comme son nom l’indique, se doit d’être en relation directe avec la réalité, le monde dans lequel nous vivons, faute de ne pas être contextuel si ce n’est pas le cas. La réalité, le réel, se définit difficilement : le palpable, que ce soit un objet, ou un ensemble d’objets qui s’oppose aux définitions de fictif, d’imaginaire, de pensée. Ardenne explique la réalité comme « ce qui est actuel et ressortit, plus qu’au présent, au devenir et au phénomène, à l’imbrication sans cesse réactualisée des faits, au monde qui se développe »[6]. L’artiste se doit de créer avec le contexte, dans certaines circonstances qui y sont propres, en mettant en relation étroite et directe son travail et la réalité. L’art contextuel se fait au contact – positif ou négatif – du monde réel. Les acteurs de cette tendance artistique ne créent pas une œuvre pour l’implanter dans un lieu, ils créent et travaillent avec et en fonction du lieu. C’est ici que l’on ce rend compte que le contexte n’est pas un élément à part, il est et fait partie intégrante de l’œuvre ; celle-ci ne rime à rien et n’existe pas sans un contexte. Si l’on prend un exemple de Land Art, cette théorie prend tout son sens. En effet, le Land Art ou Earth Art travaille dans la nature, loin des sentiers battus des galeries et musées. Les artistes travaillent « in situ » et le public, s’il veut voir les œuvres, doit se déplacer en pleine nature. Walter De Maria, lorsqu’il monta son The lightning field en 1977, inventa son œuvre relativement à la prairie dans laquelle il implanta ses poteaux métalliques. Il espérait, et il vit juste, provoquer la foudre et les éclairs ; le lieu était donc parfaitement lié à l’œuvre. Il faisait parti du travail de De Maria, et cette expérience n’aurait été qu’un échec si ce travail n’avait pas été crée avec le site. Lorsqu’un artiste élabore un projet, il fait donc avec le contexte, le lieu, mais aussi avec l’histoire de ce lieu, de sa population, de la politique menée… Ce qui est primordial. En effet, qu’aurait été la Lady Rosa of Luxembourg de Sanja Ivekovic sans l’histoire de la ville ? Cette copie de la Gëlle Fra, monument local pour les morts des guerres mondiales, fut représentée enceinte, appel à l’émancipation féminine (Rosa Luxemburg était une révolutionnaire). L’œuvre n’aurait aucun sens si elle n’avait pas été exposée
en face de l’originale avec tout son passé historique.
 
            La ville est un grand champ d’investigations et de créations pour les artistes ; site moderne où la vie ne s’arrête jamais, l’artiste devient un explorateur à l’inspiration inépuisable dans ce foisonnement de vies humaines. Pour Paul Ardenne, la marche est le premier vecteur de la visite d’une ville, et l’artiste contextuel n’hésite pas à se déplacer : il n’y a plus de lieu pour l’art, mais des milliers de parcours. L’auteur explique que « l’artiste contextuel, marquant sa différence avec les formules dirigistes, tend à privilégier les parcours plutôt aléatoires, contournant l’impératif de l’itinéraire balisé »[7]. Il ne cherche pas à contrôler sa marche ou à suivre un plan, mais se laisse plutôt porter par la ville, qu’il est prêt à découvrir, non pas comme un habitant de celle-ci, mais comme un espace inconnu. La ville comporte aussi un élément non négligeable pour les artistes : le public, beaucoup plus présent qu’en rase campagne. Cette marche permet aussi une certaine appropriation de la vie urbaine et de la ville elle-même et valorise le processus artistique ; en effet, que les artistes programment ou non leur parcours, l’action se fait par la marche. La ville devient par la même un chantier, l’artiste se servant du site pour inventer. Il crée pour et grâce à elle, comme vu précédemment, mais s’en sert aussi de galerie d’exposition, sachant que ses travaux seront appréciés, dépréciés, détestés ou adorés par la population locale, et non par une élite dite artistique. Les galeries et musées sont il est vrai fréquentés par un public averti et connaisseur ; là, l’artiste se confronte à des avis bien différents, plus réels et vrais, mais aussi plus difficiles. Daniel Buren en a de nombreuses fois fait l’expérience (toujours cette expérience…), notamment lorsqu’il colla des affiches significatives (des rayures) sur des palissades à Düsseldorf en 1969. Le quartier était populaire et son affichage jouxtait des publicités et des affiches de concerts, rien de considéré comme acte artistique. Il savait pour ce lieu quelle population il allait toucher. D’autres artistes comme Richard Long modifièrent la ville, car ils considéraient qu’elle ne convenait pas. On remarque ainsi des œuvres implantées dans les villes, comme les tags, mais en « trois dimensions » ; Richard Long, par exemple, artiste du Land Art, fit déposer un amoncellement de roches dans New York, métropole oubliant peut-être la relation homme/nature, œuvre intitulée Brownstone circle (fig. 2). Il impose donc à la ville et à son public une présence, revendiquant la puissance de son acte et de la nature sur l’homme.
 
            La nature est elle aussi sollicitée par l’art contextuel, qui ne se donne pas de limites. On retrouve cette tendance dans une sorte d’art déjà abordé, le Land Art ; en effet, cette forme d’art entre tout à fait dans l’art contextuel, car elle travaille in situ notamment pour attirer le public hors des sentiers battus et les œuvres sont généralement monumentales pour éviter au marché de l’art de pouvoir se les approprier. La nature est même parfois sollicitée en ville, les artistes estimant que les citadins perdaient peu à peu leur relation avec la terre et décidaient de leur amener, si eux ne voulaient pas se déplacer. L’artiste repousse donc les limites du monde humain en investissant la nature vierge, ce qui peut paraître présomptueux… Allant dans des lieux encore inexplorés, ceux-ci défient la nature ou lui rendent hommage, selon les artistes. Certains creusent des trous béants dans des lacs desséchés de formes résolument non naturelles pour montrer l’état de dégradation naturelle dû au travail de la nature (Michael Heizer, dissipate, Nine Nevada Depressions, # 8, 1968) ou d’autres créent des observatoires pour observer la nature elle-même et son fonctionnement, ce qui peut paraître moins agressif (Robert Morris, Observatory, 1977, à Oostelijk-Flevoland, Pays-Bas). Ces œuvres sont étonnamment contextuelles, et ne peuvent l’être plus : l’une étudie le lieu, son évolution et la marque qu’il laisse dans le temps, l’autre a été construite pour étudier le contexte, c’est-à-dire la nature. Joseph Beuys travailla quant à lui sur les aspects écologiques : il planta en effet 7000 chênes à Kassel en espérant réveiller les consciences collectives à l’écologie en danger… Notre mère Nature est donc toujours un sujet et contexte que les artistes aiment à traiter, et reste un terrain d’observation et de création.
 
 
            L’œuvre d’art contextuelle a une définition et un aspect qui peut paraître difficile à comprendre au premier rapport ; quel est son territoire artistique  ?
 
 
            L’œuvre d’art a-t-elle réellement une définition ?doit-elle être éternelle pour être considérée comme telle ? Doit-elle, elle représentation, figurer dans un lieu dit artistique ? Il est difficile de questionner un mouvement pour pouvoir le définir comme artistique lorsque l’on qualifie déjà ses auteurs d’ « artistes » et leurs productions d’ « œuvres » ; mais il faut toutefois remettre en cause ces dénominations pour affilier ou non cette tendance au monde artistique.
La notion de patrimoine artistique est récente, les civilisations précédentes n’ayant pas hésité à détruire les œuvres pour en créer de nouvelles sans se soucier de leur passé. Selon Denys Riout[8], le XIXe siècle voit le développement de cette notion et l’augmentation des conservations des œuvres historiques. En opposition à cette fièvre historique, les mouvements évoqués précédemment voient la notion d’ « œuvre » différemment : tout d’abord, l’aspect « éternel » est remplacé par un autre aspect temporel, l’éphémère ; la définition d’ « œuvre » change alors, elle n’a plus besoin de traverser les siècles pour être reconnue. Ensuite, les artistes se positionnent contre le système muséologique car ils estiment que l’œuvre n’est pas seulement l’ « objet » obtenu et terminé mais tout le processus de création.L’art contemporain a été marqué par de nombreuses interventions voulant abolir la représentation du réel, la reproduction du monde parfois même embellit par les artistes; l’art contextuel ne cherche pas forcément à reproduire le réel mais ne peut s’en détacher de par sa définition, et ne le veut surtout pas. Il y a donc un certain paradoxe dans ce soudain retour au réalisme et à la représentation d’un monde plus vrai que nature ; en effet, l’une des principales caractéristiques de cet art moderne a été de s’en affranchir, alors pourquoi ce revirement ? Il est alors possible de remettre en question la notion de « représentation du réel » : le monde de l’art ne se serait-il pas affranchi de la mimesis plutôt que du réel ?? c’est en tout cas ce que recherchent les performeurs et autres artistes de ce mouvement artistique.
 
            L’œuvre d’art contextuelle a souvent acquis une spécificité qu’étudie Paul Ardenne : la mobilité. Les œuvres sont déplaçables pouvant bouger pour changer ou rencontrer un nouveau public, et sont même parfois mises sur Internet. La majorité des travaux présentés dans ce dossier sont tout à fait mobiles car souvent « humaines » ; la mobilité devient processus et prend par intégrante de l’œuvre, comme lorsque Ben déambule avec son affiche, vu précédemment, ou que Valie EXPORT va à l’encontre des gens avec la « boîte théâtralisée ». Ces œuvres se doivent de se mouvoir dans leur contexte, pour être vues par tous et exister en tant qu’œuvres, sans limitations d’espaces. Contrairement aux siècles précédents, les lieux assignés aux créations ne sont plus désirés par les artistes, qui veulent toucher toutes les tranches de la population et non une élite culturelle. De plus cette forme d’art n’aurait plus de raison d’exister si elle était exposée dans un musée, le contexte étant radicalement différent. Il y aurait donc une sortie possible de cet art hors des limites qui lui sont traditionnellement assignées. Pour Paul Ardenne, le déplacement des œuvres donne une nouvelle signification de l’objet d’art, celle de nomade. Cette notion d’art mobile a déjà été initiée, notamment par Fluxus et ses marches urbaines ou quand Allan Kaprow promène du public dans Le Bon Marché en 1963. Cette mobilité permet la prise de possession d’un espace ou territoire, toujours selon Paul Ardenne, comme pouvait le faire Richard Long lorsqu’il marcha en pleine nature pour y laisser sa trace. La mobilité devient signe de modernité, et se popularise de plus en plus auprès du public – sans que cela devienne courant pour lui – et gagne en reconnaissance.
 
            Le processus de création en art contextuel entre tout à fait dans l’art contemporain ; on ne considère plus l’œuvre à partir de l’objet terminé, et ce depuis le début du XXe siècle. La majorité de ces créations évolue grâce au public, et changent d’aspect avec lui. L’œuvre des artistes intervenants dans l’art contextuel est souvent sujette à disparaître que ce soit des performances ou des « œuvres objets » ; mais l’œuvre est-elle uniquement l’ouvrage terminé ou pourrait-elle englober toute action contributrice à sa réalisation ? Comme nous l’avons déjà vue, la définition d’une œuvre se base maintenant sur de nombreux critères ; l’œuvre est un tout, de la conception du projet à sa finition et à ses répercutions. L’artiste est bien évidemment une des pièces maîtresses de celle-ci, mais n’en constitue pas la majorité. Il est l’initiateur, le penseur et l’exécutent, sans qui le travail artistique n’aurait jamais eu lieu. Qu’aurait été le Mur de bidons d’essence. Le rideau de fer de Christo et Jeanne-Claude le 27 juin 1962 si les deux artistes n’avaient pas imaginé l’œuvre ? Elle n’aurait pas vu le jour. « Il s’agit donc bien d’abandonner la vision hiérarchisante de l’art héritée de la Renaissance, en particulier le primat donné non à la confection mais à l’œuvre achevée »[9] note Paul Ardenne. Mais l’artiste ne suffit pas à faire une œuvre, d’autres éléments essentiels rentrent en jeu. Le contexte est évidemment l’un des plus importants, car elle est façonnée relativement à celui-ci, qui a donc une emprise et un rôle prédominant dans la conception. Toute action, affichage ou construction doit être en rapport avec le contexte, qu’il soit géographique, historique ou social. Et c’est ce tout qui fait une œuvre. Stephen Wright écrivit que « la notion d’œuvre se révèle aujourd’hui [] singulièrement inadaptée pour penser la production artistique la plus contemporaine, de plus en plus tournée vers des processus ouverts »[10]. L’un des derniers grands acteurs reste le public. En effet, celui-ci est un élément qui fait que l’œuvre existe, car sans lui, elle ne peut vivre. Duchamp disait « ce sont les regardeurs qui font les tableaux », car ils demeuraient inachevés tant qu’un public n’avait pas posé ses yeux dessus, que ça lui plaise ou pas, cela n’a pas d’importance. Il fait parti du processus de création, et il donne la touche finale au travail artistique. Dans l’art contextuel, le public est donc acteur, il sort de l’aspect de contemplation, comme dans la performance de Valie EXPORT, ce qui en fait un art dit « public ». 
 
 
Ainsi, de l’œuvre appelant simplement l’émotion du public par son regard, on assiste dorénavant à sa participation dans l’œuvre, lui donnant vie à chaque fois qu’il intervient. Les travaux et recherches des artistes contextuels testent sans relâche les frontières de la création artistique et s’inscrivent par la même dans la lignée de ces artistes d’après-guerre, souvent multidisciplinaires. L’expérience du lieu, du public, du corps devient une règle artistique. L’œuvre est devenue mobile, elle est donc beaucoup plus accessible à tous. Mais peut-on dire qu’une œuvre est art si aucun public ne l’observe ? que serait l’art sans spectateurs ?  L’art fait figure d’aventurier, que ce soit en ville ou en pleine nature et le mouvement contextuel nous montre en effet le caractère insaisissable de l’art, qui appartient à chacun de nous. Ces manifestations ont dépassé les notions matérielles du monde artistique en nous faisant vivre l’œuvre et non simplement l’observer ou l’analyser. Ce mouvement artistique ne serait donc pas un aboutissement mais plutôt une continuité, l’évolution du statut de l’art et de sa compréhension ne cessant de progresser.
 
 
 
 
 
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
 
·        Ardenne, Paul, un art contextuel, Manchecourt, 2006.
·        Riout, Denys, Qu’est-ce que l’art moderne ?, Saint-Amand, 2002
 
 


[1] Ardenne, Paul, un art contextuel, Manchecourt, Flammarion, 2006, p. 15.
[2] op. cit., p. 11
[3] Ardenne, Paul, un art contextuel, Manchecourt, 2006, p. 73.
[4] Popper, Frank, Réflexions sur l’exil, l’art et l’Europe, entretien avec Aline Dallier, Paris, Klincksieck, 1998, p. 99.
[5] Op. cit. p.70
[6] Op. cit. p. 17
[7] op cit p 92
[8] Riout, Denys, Qu’est-ce que l’art moderne ?, Saint-Amand, 2002.
[9] Op cit p 52
[10] Wright, Stephen, Le dés-œuvrement de l’art, in Mouvements, n°17, sept.-oct. 2001, p.9.

Publié dans Ferrier Anaïs

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